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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/556

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a cru devoir lui-même, lors de son couronnement en 1883, déclarer à ses fidèles paysans qu’il ne saurait y avoir de nouvelle allocation de terres[1].

Si grossières que semblent de telles fables, la crédulité toujours expectante du moujik ne cesse pas de s’en repaître. Il attend le « bienfait » (milost) du tsar avec une invincible obstination. Quelques-uns même aràrment avoir lu, dans le Messager rural, que ce « bienfait » devait être accordé. Dans plus d’un domaine, le seigneur a vu les paysans le prévenir poliment que, d’après « les ordres donnés », on allait bientôt procéder au partage des terres que lui avait laissées la charte d’émancipation. À un propriétaire qui avait leur estime, des moujiks, ainsi abusés, offraient bénévolement pour l’avenir une place de scribe communal. À un autre ils promettaient de laisser, pour sa vie durant, une portion double de celle du simple paysan, s’engageant à la cultiver pour lui et à faire de ses jeunes enfants de bons laboureurs. De pareils traits n’ont pas été rares dans les dernières années, La mort violente de l’empereur Alexandre II n’a fait qu’encourager les chimériques illusions des villageois. Beaucoup restent persuadés que le libérateur des serfs n’a été assassiné que parce qu’il méditait une nouvelle allocation de terres à ses fidèles paysans. Un propriétaire du bas Volga me racontait que ses anciens serfs n’avaient pu lui cacher leur étonnement de le voir revenir de Pétersbourg après le meurtre du tsar. « Petit père, lui disaient-ils, nous te croyions pendu ou en prison avec les autres seigneurs et assassins du tsar. » Je pourrais citer nombre de faits analogues. Par une bizarre perversion, les sentiments conservateurs du moujik et son attachement au souverain peuvent ainsi se retourner

  1. C’était à un banquet donné par le tsar aux anciens des communes rurales : « N’ajoutez pas foi, leur a dit le souverain de sa propre bouche, aux bruits absurdes que l’on répand relativement à un partage des terres et à l’extension gratuite des champs qui vous appartiennent. Ces bruits sont l’œuvre de nos ennemis. Toute propriété, la vôtre comme toutes les autres, doit être inviolable.