Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/567

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Au mois de juillet 1877, dans le gouvernement de Tambof, près d’une petite ville écartée, s’étaient rassemblés une quinzaine de jeunes gens, presque tous morts depuis en prison ou sur l’échafaud[1]. Là, dans le silence des bois, ou la solitude de bruyères désertes, après deux nuits de discussions, on décida de reprendre la tentative de régicide. On étudia les moyens, on se partagea les rôles, on rédigea un programme, on forma une « commission dirigeante » avec un « comité exécutif » ; on résolut d’abandonner le revolver et le poignard, armes surannées et incertaines, pour la dynamite et les explosions. C’est ce qu’on a nommé un peu emphatiquement le « congrès de Lipelsk », congrès dont les meurtriers statuts devinrent la loi du parti et inspirèrent tous les attentats commis depuis[2].

Une pareille politique, si peu d’accord avec les principes et la propagande pacifique du « nihilisme » théorique et humanitaire des années précédentes, ne pouvait être acceptée de tous sans résistance. Il en résulta dans le parti une scission, un schisme. Les attentats provoquèrent la répulsion des socialistes, fidèles à leurs premières maximes et dédaigneux de toute lutte politique. Le parti révolutionnaire militant se trouva divisé en deux fractions : les violents ou terroristes, qui préconisaient « la suppression des gouvernants », et les modérés ou simples propagandistes, qui repoussaient le meurtre. Ces deux groupes eurent chacun pour organe une feuille clandestine dont le titre leur servit de nom. Les terroristes furent appelés le parti de la Narodnaïa Volia (Volonté populaire) ; les modérés ou pacifiques, parti du Tchemy Pérédel[3] : étiquettes sous les-

  1. Parmi eux il y avait une jeune fille, Véra Fiegner, l’émule de Sophie Pérovsky ; condamnée à mort en 1884, elle a vu sa peine commuée par l’empereur en travaux forcés à perpétuité en Sibérie.
  2. Déposition de Goldenberg, procès des Seize en 1880, procès des régicides en 1881, procès des Vingt en 1882, procès de Véra Fiegner en 1884.
  3. Voyez plus haut livre V, chap. iv, p. 520. Faute d’autre mot, ou est