Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/57

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hommes d’origine et parfois de tendance fort diverses, qui avaient présidé à l’émancipation, à la réforme administrative, à la réforme judiciaire, avaient presque tous pour idéal le self-govemment local, ou comme on dit en russe, le samooupralénié. Leur but, plus ou moins avoué, était d’habituer les communes, les villes, les provinces à s’administrer elles-mêmes. Ils semblaient presque avoir pris pour mot d’ordre la fameuse devise des slavophiles : le peuple libre sous un tsar omnipotent, — autonomie en bas, autocratie en haut.

À l’observateur impartial, il n’a pas fallu une expérience d’un quart de siècle pour découvrir ce qu’il y avait d’illusion dans ce présomptueux programme. À parler franc, il n’a guère été réalisé que dans le mir, dans les petites démocraties rurales des communes villageoises. Par une apparente anomalie qu’expliquent les mœurs et l’histoire, l’autonomie était d’autant plus grande qu’on descendait plus bas.

Avec leurs anciens ou maires élus, avec leurs assemblées de village et leurs tribunaux de bailliage où siégeaient leurs pareils choisis par eux-mêmes, ces paysans émancipés, depuis à peine trente ans, formaient des milliers de lilliputiennes républiques ultra-démocratiques. Le Russe, toujours jaloux de devancer l’Occident, s’enorgueillissait de ses libres communes rurales. Le moujik était roi dans son mir ; il est vrai que, sous son nom, y régnaient trop souvent l’ignorance, la routine et la souveraine des campagnes russes, l’eau-de-vie, la blanche vodka.

Comme chez toutes les démocraties extrêmes, il arrivait parfois que la commune se montrait, en même temps, tyrannique et anarchique. On se plaignait d’abus de pouvoir et on se plaignait du manque d’autorité. Pour remédier à ces défauts, l’empereur Alexandre III a placé les communes sous le contrôle, on pourrait dire sous la tutelle des nouveaux chefs de cantons, que la loi investit de fonctions administratives à la fois et judiciaires.