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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/573

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alter. Et de fait il semble que la vie d’Alexandre III ait déjà été en butte à des attentats. L’atmosphère russe est trop propice aux complots pour qu’on s’en puisse reposer entièrement sur la vigilance de la police ou sur la lassitude des révolutionnaires. Le lugubre exploit des bombes du canal Catherine, déjà chanté par de fanatiques poètes, risque de provoquer de terribles émulations. Quand on croit que l’amour de la liberté autorise les crimes les plus barbares, et qu’on s’imagine avoir en poche, avec quelques boules grosses comme une orange, un moyen infaillible de régénération sociale ou de rénovation politique ; quand, de plus, on a des frères à venger et que l’on combat un ennemi qui semble lui-même se croire tout permis, il est à craindre qu’on ne renonce point à des procédés dont on se flatte d’avoir démontré la vertu.

À certaines personnes, le petit nombre des conjurés de la Volonté du peuple paraît sans proportion avec l’énormité de leurs attentats. On leur a supposé des ressources financières cachées, on leur a prêté des alliés à l’étranger et des complices jusque dans les hautes sphères du gouvernement. Dans le peuple, partout prompt aux soupçons et enclin aux combinaisons romanesques, on a fait remonter l’rinspiration des complots à l’entourage immédiat et à la famille même du « tsar martyr ». La voix publique désignait tout haut celui des frères d’Alexandre II qu’avait tenté le rôle d’un Richard III ou d’un Philippe Égalité. De tels bruits n’étaient qu’un des plus tristes symptômes du désarroi des esprits et du mauvais moral d’un pays, obsédé, comme une armée battue, du fantôme de la trahison.

Aussi peu sérieuse est l’explication deâ patriotes qui, derrière les conspirateurs, s’imaginent apercevoir les ennemis extérieurs de la puissance russe. Si peu d’intérêt que puissent au fond lui porter ses voisins, ce n’est pas une guerre de conjurations et de mines souterraines qu’ils feront jamais à la Russie. De tels moyens, quoi qu’on en