Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/577

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qui lui permettaient d’acheter des maisons et de miner des voies ferrées ou des rues populeuses ? À vrai dire, on me semble avoir souvent donné à cette question pécuniaire une importance excessive. On a singulièrement grossi les ressources des terroristes, en argent aussi bien qu’en hommes.

On a été jusqu’à leur supposer une sorte de budget, alimenté par les fonds secrets des États hostiles à la Russie ou les caisses des banquiers intéressés à la baisse du rouble[1]. La Gazette de Moscou a un jour calculé quelles sommes exigeait l’entretien d’une armée de dix mille conspirateurs, pourvus d’une haute solde régulière. Ce sont là de pures fantaisies. La guerre ténébreuse soutenue par les « nihilistes » n’était pas si coûteuse que les haines soulevées par la police de l’État n’en pussent faire les frais. Si pauvres qu’on les imagine, les révolutionnaires russes étaient assez riches pour payer leurs forfaits. L’amour du merveilleux et la terreur, qui grossit tout, ont fait évaluer le prix de revient de leurs publications clandestines et de leurs sanglants exploits à un taux beaucoup trop élevé. On a parlé de millions là où il suffisait probablement de milliers de roubles. Les terroristes, de même que les propagandistes leurs devanciers, pouvaient puiser du reste à plusieurs sources. Ils avaient leurs contributions volontaires, auxquelles participaient tous les adeptes quelque peu aisés. On sait que tel était l’emploi de la maigre dot des jeunes filles qui, pour être plus libres « d’aller au peuple », recouraient « aux mariages fictifs » en usage parmi les nihilistes dans la période de pacifique apostolat[2].

Aux minces cotisations d’étudiants besogneux, aux collectes et aux souscriptions faites parmi les mécontents de toute sorte, sont venues se joindre les subventions de

  1. Moskovsk. Védomosti, oct. 1881, no 246.
  2. Voyez tome I, liv. III, chap. iv. Le procès du prince Tsitsianof et de ses complices, en 1877 en fournit plusieurs exemples.