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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/576

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l’Angleterre en sont le refuge et souvent le tombeau. Ce que Genève, Paris ou Londres, avec la tolérance des gouvernements étrangers, offrent en réalité au « nihilisme », c’est moins une base d’opération qu’un abri pour les blessés et les fugitifs de ses terribles combats ; c’est un champ de repos où, comme me le confessait un réfugié, la plupart des survivants des luttes de l’intérieur s’amollissent dans l’inaction, loin du sombre champ de bataille qu’ils ont déserté.

Les portes de l’Occident eussent été hermétiquement fermées aux jeunes vétérans du « nihilisme », que la secrète campagne des bombes et des explosions ne s’en fût pas moins poursuivie dans les brouillards de Pétersbourg ou les neiges de Moscou. Attribuer, comme on le fait parfois en Russie, l’obstinée rébellion des nihilistes à la coupable tolérance des gouvernements étrangers, c’est se tromper volontairement soi-même ; c’est encore, selon une habitude trop fréquente chez tous les peuples, chercher au dehors le principe de ses maux, demander à un remède extérieur la guérison d’une plaie interne.

Ni l’extradition des régicides, quelques droits qu’y puisse faire valoir la diplomatie impériale, ni même l’expulsion de tous les réfugiés russes de l’Europe, n’étoufferaient l’esprit révolutionnaire dans le sein de l’empire. Quand Hartmann et Véra Zasoulitch eussent été livrés au tsar, quand ils auraient précédé au haut du gibet Jéliabof et Sophie Pérovsky, cela n’eût pas sauvé Alexandre II. Le gouvernement russe peut se plaindre des abus du droit d’asile, étendu à des assassins notoires ; il ne saurait pour cela rendre l’Europe responsable de ce qui se passe chez lui ; autant vaudrait, comme certaines feuilles de Moscou, en rejeter toute la faute sur les Polonais ou sur les juifs, les deux boucs émissaires des ultra-nationaux.

Si ce n’est point du dehors que le nihilisme tirait ses doctrines et ses sinistres héros, n’est-ce point à l’étranger qu’il se procurait les ressources, les moyens financiers