« Prenez garde ! diront certains Russes, vous jugez de la Russie par vos pays d’Occident. Vous prenez notre peuple slave pour une de vos nations germano-latines ! Le peuple russe n’est pas un peuple politique (gasoudarstvenny), il ne désire aucune part dans le gouvernement, il n’a que faire de vos libertés, il n’en veut pas, ne les comprend pas. Il se sent pleinement libre sous l’autorité paternelle d’un tsar autocrate ! » C’est là, pour certaine école, un vieil axiome, appuyé jadis par les slavophiles sur l’appel des Slaves de Novgorod à Rurik et sur l’abdication volontaire du peuple victorieux entre les mains des Romanof, en 1612[1].
Appliquée au passé moscovite, appliquée au moujik actuel, cette thèse contient une bonne part de vérité ; non que le Russe soit par essence un peuple « non politique », ce dont ses apologistes de Moscou lui font un mérite, y voyant une preuve de sagesse et de « sainte humilité chrétienne » ; non que, par ses origines, le Russe soit un peuple asiatique, altaïque, incapable de comprendre les no-
- ↑ Cette doctrine, toujours défendue par les néo-slavophiles, a été exposée dans un curieux mémoire, rédigé par le défunt Constantin Aksakof et remis à l’empereur Alexandre II lors de son avènement par la comtesse Bloudof. Ce mémoire confidentiel a été publié, en 1881, dans la Rous de M. Ivan Aksakof, qui présentait le même idéal à l’empereur Alexandre III.