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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/583

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famille impériale : le patriotisme. Dans les classes même où le régime autocratique excite le moins d’enthousiasme, l’on sent nettement que la grandeur de la Russie est liée à la dynastie et à la stabilité du pouvoir. Ils sont encore rares (quoique j’en aie rencontré plus d’un) les Russes qui appellent une nouvelle guerre de Crimée et qui, pour la rénovation politique de l’empire, comptent sur les défaites de la patrie. En Russie, plus encore peut-être que dans nos États occidentaux rongés par l’internationalisme révolutionnaire, le sentiment national prime tout, et ce sentiment national, tenu en éveil par l’Europe de la triple alliance, double le loyalisme envers le tsar. C’est là, pour nous, une des causes du déclin du nihilisme dans les dernières années. De quelques motifs généreux qu’ils couvrent leur propagande, les révolutionnaires semblent faire les affaires de l’étranger.

Il ne faudrait point pourtant trop se fier à ce sentiment et ne voir dans le nihilisme qu’une maladie de rencontre dont le tempérament russe a triomphé sans peine. Le mal continue à couver sourdement ; il peut un jour ou l’autre, dans la paix ou dans la guerre, faire de nouveau éruption. Pour le guérir, il faudrait en faire disparaître les causes, et c’est là une tâche à laquelle ni la police ni le tchinovnisme ne sauraient suffire. Si différente de notre vieille Europe que soit la Russie orthodoxe, elle en est trop voisine pour n’en pas ressentir la contagion. Aux vagues aspirations qui s’éveillent dans la société, aux impérieux besoins qui tourmentent la jeunesse et « l’intelligence », il faudra, tôt ou tard, sous peine d’explosion, ouvrir une issue légale.