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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/587

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moscovites ne peuvent biffer des annales russes ce qu’ils appellent la période de Pétersbourg.

Une des choses avec lesquelles il faut le plus souvent compter, chez les nations comme chez les individus, c’est l’amour-propre. Un pays se résigne mal à se voir dans un état d’infériorité réelle ou apparente vis-à-vis de ses voisins, et cela lui répugne d’autant plus qu’il se sent plus grand et plus fort d’ailleurs. Telle est aujourd’hui la situation des Russes.

Il leur est pénible de demeurer politiquement au-dessous des autres États de l’Europe, presque tous aujourd’hui pourvus de constitutions, au-dessous même de leurs frères puînés et encore enfants du Balkan, à peine émancipés d’hier, au-dessous des petits peuples d’Orient, que pour le génie et la civilisation l’on ne saurait assurément ranger au-dessus de la Russie. Beaucoup de Russes ont peine à comprendre les trop sérieuses raisons qui rendent une évolution libérale plus malaisée dans le grand empire du Nord que dans ces minces États, affranchis par ses armes. Leurs yeux sont choqués d’un contraste que les années ne feront que rendre plus sensible et plus blessant. Cette sorte d’humiliation de l’orgueil national, en face d’une Europe presque tout entière en possession de droits déniés aux Russes, serait seule à la longue un obstacle insurmontable au maintien du régime autocratique. Quoi que fasse le gouvernement impérial, il y a là une comparaison qu’il n’est pas libre de supprimer. Et qu’on ne s’y trompe pas : si puissant que soit l’amour-propre sur les peuples, ce n’est pas là pour les Russes une simple question de vanité.

Sans constitution, sans droits politiques, la Russie n’est pas encore un État moderne ; comme la Turquie, elle est à peme un État européen. Or y a-t-il dans le sang ou le génie du peuple russe, dans son histoire, dans sa religion ; y a-t-il, dans sa constitution sociale ou dans le fond nationaly quelque chose qui le sépare assez des autres peuples chrétiens pour lui interdire toute part à ces libertés poli-