Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/589

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instruites, il faut une issue, et cette issue ne peut être ouverte que par des droits et franchises politiques, par une charte ou une constitution. Peu importent les mots et les noms : ce qu’il faut à la Russie, c’est la chose, c’est une représentation nationale. À ce pays, officiellement muet depuis des siècles, il faudra, sous peine de rendre toutes les catastrophes possibles, donner la voix et la parole ; sur la vaste scène, jusqu’ici remplie par le gouvernement et ses agents, il est temps de faire monter ce nouvel acteur, énigmatique et obscur personnage, dont les autres parlent sans cesse et que jusqu’ici on n’a ni vu, ni entendu.

Parmi les esprits éclairés il en est, disons-nous, qui, tout en étant libéraux et parfois radicaux pour l’Occident, restent opposés chez eux à toute tentative constitutionnelle prochaine, ou n’envisagent cette perspective qu’avec de sombres appréhensions. « Eh quoi ! s’écrient-ils, comment, sous prétexte de couper court à nos difficultés, nous jeter en de nouvelles, plus graves peut-être ? À quoi bon entreprendre une tâche pour laquelle nous sommes si mal outillés et dont les matériaux mêmes nous font encore défaut ? C’est prétendre parfaire et couronner l’édifice des réformes avant que les étages inférieurs en soient achevés. Quelle constitution irait à notre inexpérience, à notre ignorance, à notre paresse, à notre routine ? Ce qu’il nous faut, c’est une saine et honnête administration, une droite et libre justice, c’est la suppression de la vénalité et de l’arbitraire administratif. En fait de self-government, ce qui nous sied, c’est le self-government local, c’est le développement de nos institutions provinciales et municipales, de nos zemstvos et de nos doumas ; c’est, en un mot, la consolidation et l’achèvement ou, mieux, la pratique sincère de toutes les réformes d’Alexandre II. Avec cela la Russie serait heureuse, tranquille et forte. »

Ce modeste et prudent langage n’a qu’un défaut : sous une apparente sagesse, sous les dehors du sens commun et de l’esprit pratique, il cache au fond une naïve et j’ose-