Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/596

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Quoi qu’il en soit, crainte des excès du centralisme moscovite chez les uns, crainte des prétentions du particularisme chez les autres, il y a là un inconnu qui, pour des motifs opposés, suscite de naturelles inquiétudes chez des esprits de tendances d’ailleurs contraires. Dans la large zone de provinces plus ou moins hétérogènes qui s’étend de la Finlande à la mer Noire, on appréhende que des droits poliliques, accordés de préférence à la GrandeRussie, ne servent d’armes au zèle russificateur de certaine école et d’instrument d’oppression pour les nationalités ou religions dites étrangères. Ailleurs, à Moscou par exemple, les centralistes redoutent que des franchises politiques étendues aux provinces assujetties n’entravent l’assimilation des nombreuses « Oukraines » russes, et ne préparent le champ au fédéralisme ou au séparatisme.

Sur ce point capital, les ennemis du gouvernement ont, eux aussi, été longtemps divisés. Parmi les révolutionnaires, plusieurs s’efforcent de réunir tous les adversaires du tsarisme. Russes, Polonais, Ukrainiens, autonomistes, libéraux, socialistes, communalistes, sur le terrain du fédéralisme. Ils révent, eux aussi, de passer l’Atlantique, de donner aux États-Unis d’Amérique un pendant sur le vieux continent. Ce point de vue, le seul peut-être capable de les rallier, est fort en vogue parmi les ennemis de l’autocratie, quoique les révolutionnaires militants, les terroristes comptassent naguère beaucoup de jacobins centralistes et autoritaires[1]. Si la révolution devait triompher, elle n’en risquerait pas moins d’aboutir à la dicta-

  1. Les aspirations fédéralistes avaient, au commencement du règne d’Alexandre III, un organe attitré dans le Volnoé Slovo de Genève ; elles ont été formulées avec talent par M. Dragomanof : Istoritchtakaïa Polcha t vélikorouêskaïa démocratsia (Genève, 1883). Un peu plus récemment, la Russie souterraine de Slepniak (édit. française, 1886) concluait en affirmant que la révolution ne triompherait que grâce au fédéralisme, par la transformation de l’empire en union d’États autonomes.