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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/597

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ture d’une commune démocratique, sauf à tomber plus tard dans le morcellement du fédéralisme ou l’émiettement du cantonalisme. Mais ce n’est pas là pour l’empire un péril prochain. Avec une constitution, la Russie aurait plutôt à craindre le danger inverse, la domination d’une majorité ultra-centraliste et moscovite, d’un slavophilisme provocant et d’une orthodoxie intolérante, imprudemment agressive au dedans et au dehors. Pour un esprit non prévenu, ce serait même là peut-être le plus redoutable écueil d’une transformation politique. Les lois d’exception contre les Polonais, aggravées en 1885, aux applaudissements de la presse moscovite, les mesures réclamées contre les juifs vers 1882 par certaines assemblées ou commissions, montrent à quels risques pourraient être exposées les populations sujettes de la Russie. Le danger de l’oppression des minorités par la majorité, qui est le principal défaut des gouvernements libres, serait peut-être plus grand en Russie qu’ailleurs ; mais, pour que la Russie ne pût s’en préserver, il faudrait qu’en octroyant une charte à ses peuples, la couronne se fût bien complètement désarmée, ou que les passions nationales lui fissent oublier sa vraie mission et ses vrais intérêts. À y bien regarder, du reste, ce péril n’est pas particulier au régime des assemblées électives ; le centralisme russificateur et orthodoxe de Nicolas, plus d’un acte d’Alexandre II et d’Alexandre III en Pologne, en Lithuanie ou dans les provinces Baltiques, ont prouvé qu’à cet égard le régime autocratique était loin d’être toujours une garantie.

Cette difficulté, si grande qu’il faudra, croyons-nous, des générations pour la trancher, n’est aujourd’hui ni la seule ni peut-être la première. Derrière elle en surgit une autre analogue et plus grave encore. Quand, au moyen d’autonomies locales, il serait possible d’éliminer les principaux éléments divergents, — qu’on laisse de côté toutes les dififérences de race, de religion, de traditions, toutes les aspirations nationales et les instincts réfractaires, —