Aller au contenu

Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/601

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

serait pas une raison pour qu’à l’instar des peuples d’Occident, la Russie recourût à ces expédients surannés, décorés du nom de constitutions, qui ne sont, après tout, que de menteurs ou précaires compromis. » — Tel est le langage que l’on tient encore parfois en deux camps opposés, mais souvent réunis par leur commune antipathie pour les institutions occidentales. Outre les esprits timides qui, par méfiance du tempérament national ou de la maturité du peuple, n’osent désirer de libertés politiques, il reste, aux deux extrémités de la pensée russe, des hommes qui, par ignorance, par présomption ou par une sorte de chauvinisme, se donnent le genre d’en faire fi. Nous les connaissons : ce sont d’un côté certains radicaux, de l’autre certains conservateurs à tendances slavophiles. Les néo-slavophiles rêvent encore d’une sorte d’union mystique entre le tsar et le peuple, assez semblable à l’union du Christ et de l’Église dans l’enseignement ecclésiastique, ou à l’harmonie préétablie imaginée par Leibniz entre l’âme et le corps[1]. Parmi les radicaux, les plus chimériques, ou les plus inconséquents, persistent à regarder la liberté politique comme un leurre qui détourne les peuples de la grande, de l’unique question, la transformation sociale.

Chose à noter cependant, ce mépris pour les droits politiques, si hautement affiché vers le milieu du règne d’Alexandre II, était, sur la fin, beaucoup moins commun. Ces grands airs contempteurs, qui rappelaient trop parfois la fable le Renard et les Raisins, avaient, dans un camp comme dans l’autre, à gauche surtout, singulièrement perdu de leur vogue. Depuis la guerre de Bulgarie, nationaux et radicaux ont plus d’une fois laissé entendre qu’après tout il y avait des franchises politiques dont la

  1. C’est ainsi qu’Ivan Aksakof a été autrefois jusqu’à dire qu’en Russie l’entente du souverain et du peuple était d’autant mieux assurée et plus complète qu’elle se passait de garanties légales. Depuis, dans ses dernières années notamment, M. Aksakof a parfois tenu un langage mieux inspiré.