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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/613

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ils lui trouvent quelque chose d’aristocratique qui leur rappelle les distinctions de classes[1]. Pour eux, un sénat ou une chambre des pairs n’est à sa place que dans les pays à traditions féodales ou à oligarchie bourgeoise. À leurs yeux, le peuple russe, étant un dans son histoire et dans sa conscience, doit être représenté dans son unité par une assemblée unique. Peuple et tsar doivent être placés en face l’un de l’autre, en contact direct, sans intermédiaire d’aucune sorte pour les séparer et les empêcher de s’entendre.

Mettons de côté toutes ces prétentions et préventions à demi slavophiles, à demi démocratiques ; il reste vrai que la Russie ne semble pas posséder les éléments d’une chambre haute indépendante, d’une chambre héréditaire surtout, comme celle des lords de la Grande-Bretagne ou celle des seigneurs en Prusse. La noblesse russe, tout entière issue du service, n’a jamais eu assez de pouvoir malériel, assez d’autorité morale, assez d’individualité pour qu’on en puisse tirer une chambre autonome, influente et respectée[2]. En revanche, rien ne serait plus conforme aux habitudes et aux traditions russes, si ce n’est aux instincts slaves, qu’une assemblée composée de hauts fonctionnaires civils ou militaires et de personnages désignés par le souverain. La Russie déjà possède quelque chose de semblable dans le Conseil de l’empire, dont les attributions et le recrutement n’auraient qu’à être légèrement modifiés pour en faire une sorte de sénat bureaucratique.

Dans le curieux canevas de constitution, en cent cinquante articles, expédié en 1878 de Pétersbourg à Tirnovo, la chambre unique, instituée pour les Bulgares, était composée à peu près par moitié de députés élus par la nation

  1. Cette idée se retrouve jusque chez les Slaves, Serbes ou Bulgares, sortis de nos écoles. « Le dualisme dans le Parlement, affirme par exemple un écrivain bulgare, M. G. Drandar, est une importation anglaise, française, germanique ; mais ne saurait convenir aux Slaves. » Cinq ans de règne ; le prince Alexandre de Bulgarie (Dentu, 1884).
  2. Voyez t. I, liv. VI, chap. iv.