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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/617

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parfois le sort des princes et des empires, le jour de sa mort, le matin du dimanche 1er (13) mars 1881, avant de partir pour la « parade » d’où il ne devait revenir qu’expirant, Alexandre II, qui, la veille, avait appris l’arrestation de Jéliabof et la découverte d’un nouveau complot, envoya au ministère de l’Intérieur l’ordre de faire annoncer le lendemain lundi, dans le Messager officiel, l’importante réforme accordée à ses sujets. Un jour de retard dans les préparatifs de Sophie Pérovsky et de Kibaltchich, et la Russie était engagée dans la voie des libertés politiques. Si imparfaites que pussent sembler cette sorte de consulte et cette charte embryonnaire, peut-être sa publication eût-elle arrêté le bras de fanatiques égarés, peut-être un grand deuil eût-il été épargné à la Russie et de grands dangers à la dynastie et au pays.

Quelques instants avant de quitter le palais d’hiver, Alexandre II disait à sa nouvelle épouse, la princesse Iourievski : « Je viens de signer un papier qui, je l’espère, fera une bonne impression et apprendra à la Russie que je lui accorde tout ce qui est possible ». Et, selon son habitude dans les circonstances solennelles, il faisait le signe de la croix, ajoutant : « Demain, ce sera publié, j’en ai donné l’ordre[1] ».

L’ordre en effet était expédié, le texte officiel envoyé à l’imprimerie : on était en train de le composer à l’heure où expirait le Isar. Dans la confusion qui suivit l’attentat, au milieu même du désordre du palais en deuil, le général Loris-Mélikof, s’approchant du nouveau souverain, lui apprit l’ordre donné le matin et lui demanda s’il devait s’y conformer. « Ne change rien aux ordres de mon père,

  1. Ce propos, qui confirme notre récit, est emprunté à un petit volume attribué à la princesse Iourievski (Alexandre II, détails inédits sur sa vie intime et sa mort, par V. Laferté : Georg. Bâle-Genève, 1882). Ce volume ne révèle pas la nature du document en question, mais pour nous cela ne saurait faire doute. Sur les vues et les plans du général Loris-Mélikof à cette époque, on trouve de curieux renseignements dans les Mémoires de Kochelet (1885). Cf. le vicomte de Vogüé ; Spectacles contemporains : Le général Loris-Mélikof (1891).