Aller au contenu

Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/619

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déclarée imprudente ou prématurée. La question était ajournée, c’est-à-dire indéfiniment écartée. Des témoins oculaires m’ont affirmé qu’à la fin de ce conseil, l’empereur avait été pris d’une sorte de malaise et de faiblesse, comme si, en se ralliant à ce parti ; il en avait pressenti la gravité.

C’est ainsi que par deux et trois fois, en un court espace de temps, sous Alexandre II dans ses derniers jours, sous Alexandre III au début de son règne, l’autocratie a, faute de résolution, laissé passer l’heure propice. Jamais peut-être ne retrouvera-t-elle un moment aussi favorable[1].

Mais, de ce qu’en 1881 on a laissé envoler l’occasion, est-ce une raison pour s’en tenir indéfiniment au régime qui a engendré le « nihilisme » et la plus horrible série d’attentats dont l’histoire fasse mention ? Est-ce un motif pour ramener la Russie au règne de Nicolas et, par une aveugle obstination, justifier aux yeux d’une grande partie du pays l’infatigable opiniâtreté des conspirateurs ? Alors même que les influences antilibérales cesseraient de prévaloir à la cour, le problème est déjà plus compliqué qu’à l’aurore du nouveau règne. L’espèce de consulte, suggérée au libérateur des serfs, eût sans doute été accueillie avec enthousiasme au lendemain du tsaricide ; après des années de désenchantement, l’impression ne saurait plus être la même. Si naturelle qu’elle puisse sembler, ne fût-ce que comme procédé de transition, une assemblée purement consultative ne serait pas du reste sans inconvénients. Elle risquerait d’être trop ou trop peu, selon qu’elle dépasserait ses attributions légales ou qu’elle s’y enfermerait scrupuleusement. Dans le pays même de l’autocratie, il serait de nos jours malaisé de rencontrer une assemblée représentative toujours disposée à dire, comme l’ancien sobor moscovite : « Voici notre manière de voir,

  1. Nous devons dire que, un peu plus tard, avant de quitter le ministère, le général Ignatief passe pour avoir à son tour, sur les conseils d’Iv. Aksakof, engagé Alexandre III à convoquer le sobor.