Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/621

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« De toutes les assemblées politiques, me confiaît à Pétersbourg, en 1880, un haut personnage[1], une assemblée consuHative ou « sobor », comme en préconisent certains néo-slavophiles, serait peut-être la plus incommode. Avec elle nous serions exposés à des embarras inverses de ceux que donnent les Chambres législatives. Au lieu d’être obligés de dissoudre les députés en cas de désaccord, nous courrions le risque d’avoir du mal à les faire siéger. Les représentants du pays pourraient se piquer de voir leurs avis méconnus, et se retirer, se mettre en grève. « Vous ne voulez point nous écouter, répondraient-ils aux ministres, inutile de nous réunir », et le pays serait jeté dans des crises constitutionnelles dont le gouvernement ne sortirait qu’humilié et déconsidéré. »

De telles appréhensions n’étaient peut-être pas sans fondement. Ce qui fait en réalité la puissance d’une assemblée et d’une représentation populaire, ce sont bien moins ses prérogatives légales que son autorité morale, mise en balance avec l’ascendant du pouvoir qui la convoque. L’autocratie eût su prévenir les besoins du pays et devancer les injonctions révolutionnaires, Alexandre II eût réuni les représentants de la nation vers 1875, quand le prestige de la couronne était encore intact, une assemblée russe, de quelque prérogative qu’il eût plu au tsar de la doter, n’aurait guère été en réalité qu’une grande consulte. Aujourd’hui il est douteux qu’il en fût ainsi ; toute représentation nationale prendrait sa mission au sérieux et travaillerait à étendre ses droits.

Aussi, pour échapper aux luttes partout inhérentes aux assemblées politiques, cherchera-t-on peut-être longtemps encore à s’en passer, sauf à leur substituer un jour quelque autre procédé plus inoilensif, tel que des assemblées provinciales à compétence étendue, ou de grandes commissions intermittentes, plus ou moins analogues à celles

  1. Le comte P. Schouvalof, l’ancien chef de la IIe section.