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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/622

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du général Ignatief en 1881[1]. Le premier système aurait beau constituer un manifeste progrès, il ne saurait guère plus longtemps suffire à la Russie que pareille combinaison n’a suffi, chez nous, à la France de Louis XVI. Le second expédient aurait, je l’avoue, l’avantage de parer à l’un des défauts reprochés au constitutionnalisme occidental, le manque de spécialité des parlements. Il aurait de plus le mérite d’être nouveau, de n’être pas une copie du dehors ; mais ce double avantage n’en saurait balancer les inconvénients. Avec de pareilles commissions facultatives, non seulement il ne saurait y avoir de législation homogène, mais, ce qui importe avant tout au pays, il ne saurait y avoir de contrôle effectif des gouvernés sur les gouvernants.

En résumé, la Russie nous paraît contrainte d’entrer à plus ou moins longue échéance dans la voie des libertés modernes. Par quelle porte y doit-elle entrer ? Ce n’est pas à nous de le lui indiquer ni de tracer aux événements leur cours. De la part d’un étranger, ce serait là de l’outrecuidance. Ce que nous savons, c’est qu’il est grand temps pour elle de se mettre en marche, que la route sera longue et pénible, que les raccourcis abrupts, qui ont pu réussir à d’autres, lui seraient périlleux, car elle est trop massive et pesante pour escalader les sentiers escarpés par où de plus petits et de plus agiles ont pu passer impunément.

Plusieurs Russes m’ont fait l’honneur de m’engager à leur envoyer un projet de constitution. Je m’en suis tou-

  1. C’est ce que semblait conseiller entre autres l’auteur anonyme d’un article de la Nouvelle Revue, 15 fév. 1882. D’après cet article, attribué à un haut fonctionnaire, le baron Jomini, quel devrait être le principe fondamental des institutions à établir ? Ce serait « de faire participer les intéressés à la confection des lois qui les intéressent ». L’auteur oubliait que les lois les plus importantes, administratives, financières, militaires on commerciales, intéressent tout le monde ; qu’en ne consultant que ceux de ses sujets qu’une loi paraît le plus directement toucher, l’État légiférerait fatalement dans un intérêt particulier. Qu’on imagine, par exemple, des tarifs douaniers rédigés exclusivement par les représentants de chaque industrie.