Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/627

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serait tout autant à l’administration et à l’instruction militaires, ce serait aux finances, à l’enseignement, aussi bien qu’à l’armée et à la diplomatie. La seule discussion publique du budget dans une assemblée libre aurait, pour la fortune de l’État, des résultats inappréciables. Alors seulement le lourd colosse pourrait avoir une vigueur réelle en proportion de ses ressources naturelles.

Les hommes d’État russes ne se rendent pas assez compte que, si l’anarchie est une incurable faiblesse, la liberté est une force que rien ne remplace. Un étranger a le droit de le leur assurer ; des institutions libérales peuvent seules rendre à la Russie la considération des gouvernements et les sympathies des peuples. Une évolution dans ce sens lui aurait procuré un prestige et un crédit que tous ses régiments et ses diplomates ne lui sauraient donner. C’est le seul moyen pour elle de dissiper les méfiances et les préventions invétérées qui s’attachent à sa politique. En Orient, vis-à-vis des Slaves du sud, vis-à-vis des chrétiens d’Europe et d’Asie, elle retrouverait un ascendant que ni ses services ni sa puissance matérielle ne sauraient lui valoir. La liberté est le seul aimant qui puisse lui attirer et lui conserver l’affection des petits peuples émancipés par ses armes ; la liberté seule peut les empêcher de détourner les yeux de leur grand patron du nord pour chercher ailleurs des leçons et des modèles. En Occident, le bénéfice ne serait pas moindre ; une Russie libérale (quand sera-t-il permis d’accoler ces deux mots ?) reconquerrait une influence et une place en Europe qui feront toujours défaut à la Russie absolutiste. Avec le vieux régime autoritaire, elle est condamnée à l’isolement ; dans notre siècle, en effet, les États ont une autre manière de s’isoler que la révolution ; c’est l’extrême opposé. Tant qu’elle persistera à demeurer à l’écart de toutes les réformes politiques accomplies partout ailleurs, la défiance et la répulsion contre son système de gouvernement détourneront d’elle