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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/626

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quement, ni financièrement, ni militairement. Comme nos éphémères empires français, ce gouvernement dix fois séculaire risque d’être obligé de choisir entre les réformes du dedans et les campagnes du dehors, entre la liberté et la gloire. À défaut de l’une, il lui faudra donner l’autre. Cette alternative, chez nous ancienne, menace de s’imposer à la Russie, et la guerre de 1877-1878 lui a enseigné combien risqué et incertain est un pareil jeu même avec des victoires. Il y a là en effet une sorte de cercle vicieux ; souvent la guerre met rudement à nu les plaies d’un pays, elle rend palpables les vices d’un gouvernement et la nécessité d’un contrôle.

C’est ce qu’ont fait, à vingt ans de distance, les deux dernières guerres d’Orient. L’invasion de la Crimée a été le point de départ de l’émancipation des serfs et des grandes lois d’Alexandre II ; la double campagne de Bulgarie, n’ayant été suivie d’aucune large réforme, n’ayant pas été le signal de l’émancipation politique, a été celui du terrorisme révolutionnaire et des tsaricides. À la lutte contre l’étranger a succédé une guerre intérieure plus longue, plus acharnée et, malgré le petit nombre des soldats en ligne, non moins coûteuse pour le pays et le pouvoir. Cette guerre contre un ennemi invisible et toujours renaissant, Alexandre III n’a pas su la terminer par un traité de paix. C’était l’âme de son peuple et de la jeunesse russe qu’il devait pacifier, et cela il ne pouvait le faire qu’en réconciliant son gouvernement avec l’esprit du siècle, sans se laisser arrêter par les menaces des uns ou les appréhensions des autres.

Tout en Russie bénéficierait d’un changement de régime : la force matérielle et l’autorité morale du grand empire n’y sont guère moins intéressées que l’ordre intérieur et une bonne administration.

À qui profiterait le contrôle des représentants du pays ? Serait-ce uniquement à l’administration centrale et locale, à la police, à la justice, aux services civils ? Nullement, ce