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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/630

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d’empêcher la révolution, c’est de la devancer, c’est d’en donner l’initiative au pouvoir. Réformes d’en haut ou révolution d’en bas, disait Alexandre II au début de son règne.

Après cela, il y a des changements si profonds, qu’on se demande avec anxiété s’ils peuvent s’effectuer pacifiquement, sans troubles ni révolutions. Ainsi en était-il en France de la chute de l’ancien régime. En sera-t-il de même de la transformation politique de la Russie ? Cela dépendra beaucoup de l’habileté et du bonheur de la dynastie.

Les peuples et les sociétés ont pour ainsi dire des mues, des métamorphoses qui semblent ne pouvoir se faire sans crises ni souffrances, souvent même sans une sorte de dépérissement extérieur et comme de mort apparente. Mais qu’on ne s’y trompe point, quand la Russie devrait un jour passer par de semblables épreuves, et en sortir temporairement affaiblie ou diminuée, ce serait pour elle, de même que pour la France de 1789, une crise de croissance et non les convulsions de l’agonie ou les défaillances de la décrépitude.

Et si, dans la Russie de la fin du dix-neuvième siècle ou du commencement du vingtième, comme dans la France de la fin du dix-huitième siècle, une révolution devenait inévitable, quels en seraient les résultats pour la Russie et l’Europe ? quel ordre de choses nouveau sortirait-il de ce chaos ? C’est là une question que nous serions mal venus à prétendre trancher, nous Français qui, après un siècle entier, ne sommes pas encore sûrs d’avoir achevé notre révolution ou d’en avoir atteint le terme.

À bien des égards, une révolution russe (si elle était autre chose qu’un confus et passager interrègne) aurait un caractère d’originalité, de nouveauté, qu’on ne saurait rencontrer chez aucun peuple du continent L’Occident a eu sa révolution dans la révolution française, dont les peuples germano-latins ont tous plus ou moins subi l’esprit, emprunté les doctrines, goûté les bienfaits et les maux.