Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/631

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Notre révolution a été en quelque sorte la rédemption de la vieille Europe féodale ; mais ou pourrait dire que l’Europe patriarcale de l’Est, que le monde slave orthodoxe attend encore sa révolution ou ce qui doit lui en tenir lieu ; et d’où à cet égard lui viendrait l’initiative, si ce n’est de la Russie ? Ainsi envisagée, une révolution russe pourrait être le plus grand événement de l’histoire depuis la révolution française dont, à un siècle de distance, elle serait en quelque sorte le pendant.

La prétention de créer un nouveau type de société, que font valoir pour leur pays les conservateurs slavophiles, se retrouve, sous une autre forme, avec non moins d’assurance, chez beaucoup de révolutionnaires du Nord. Ils se flattent qu’une révolution russe laisserait singulièrement en arrière nos révolutions, moins plébéiennes que bourgeoises et toutes jusqu’ici franchement individualistes ; qu’elle apporterait à l’Europe un évangile vraiment populaire, plutôt social que politique, approprié au monde slave oriental, tout en offrant un principe de rénovation à l’Occident.

Et de fait, une révolution russe, devant presque fatalement aboutir à une espèce de socialisme agraire, ne saurait manquer de différer de tout ce que nous avons vu ailleurs. C’est assurément dans la révolution que la Russie aurait le moins de peine à se montrer originale, à faire du neuf et du slave, mais cela à quel prix ? avec quels sacrifices pour la science et la civilisation ? En tout cas, quelques titres que réclament d’avance pour elle ses ardents pionniers, quelque vaste champ qu’ait devant elle, en Europe ou en Asie, une révolution russe, la révolution française gardera toujours, sur le terrain même des idées révolutionnaires, la supériorité d’avoir été la première en date et l’initiatrice d’autrui. Cet avantage, la révolution de 1789 ne le doit pas seulement à sa priorité, mais surtout à sa logique abstraite, à la nature spéculative de ses principes, qui lui ont donné un caractère d’universalité sans analogue