Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/90

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ministres ne seraient informés qu’en même temps que le public[1]. On comprend les effets d’un pareil système : le ministre des finances n’est averti qu’après coup des projets de dépenses de ses collègues de l’intérieur ou de la justice ; le ministre de la guerre peut ignorer si la politique des affaires étrangères est belliqueuse ou pacifique.

La première et naturelle conséquence de cet isolement des ministères a été le manque d’unité administrative, le désordre, la confusion. Les ministres ne sont pas unis entre eux et, dans le sein de chaque ministère, les divers départements sont presque indépendants les uns des autres. Les ministres peuvent prendre beaucoup sur eux quand ils ont la confiance du maître ; et, au-dessous des ministres, chaque haut fonctionnaire, pour peu qu’il possède la faveur personnelle du souverain, peut agir à sa guise, à l’encontre ou à l’insu de ses collègues ou de ses chefs. On aboutit ainsi dans la politique intérieure, parfois dans la politique étrangère, à des incohérences et à des contradictions qui vont jusqu’à donner au gouvernement l’apparence de la duplicité. Presque toujours rivaux et fréquemment ennemis, représentant souvent des tendances contraires ou des coteries hostiles, que le souverain oppose parfois systématiquement les unes aux autres, pour ne se livrer entièrement à aucune, les ministres se font sourdement une guerre clandestine et parfois même presque publique[2]. Sous Alexandre II, c’était tantôt la justice qui était en lutte avec l’intérieur, tantôt l’instruction publique qui bataillait avec la guerre[3]. Tandis que le ministre de la justice cherchait à déraciner les

  1. Lettre du comte Vorontsof au prince Czartoryski, écrite en 1803 (Istoritcheskii Vestnik, oct. 1880).
  2. J’ai signalé, d’après la correspondance inédite de Nicolas Milutine, de singuliers exemples de ces discordes intestines sous Alexandre II. Voyez Un Homme d’État russe contemporain (Nicolas Milulvie), Paris, Hachette, 1884.
  3. À propos des établissements d’enseignement relevant du ministère de la guerre.