Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/91

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anciens abus et à garantir la liberté individuelle, son collègue de l’intérieur, partisan du vieil arbitraire bureaucratique, se plaisait, par des poursuites administratives, à rendre illusoire l’action des tribunaux. Les discordes des ministres, qui se combattaient mutuellement à la cour, dans les salons, dans la presse même, se propageaient parmi leurs subordonnés. Toute l’action gouvernementale en était entravée, l’anarchie s’introduisait dans les diverses branches de l’administration, et ce désordre, recouvert d’un trompeur vernis d’uniformité, tournait au profit de la propagande révolutionnaire.

Il semble, de loin, qu’un peuple moderne n’ait qu’à souffrir d’un pareil chaos administratif. En Russie, on peut se demander si, sous un régime absolu, les défauts de l’administration n’ont pas, pour l’avenir du pays, presque autant d’avantages que d’inconvénients. Ce n’est pas là un vain paradoxe. L’anarchie administrative, comme tous les autres vices de la bureaucratie impériale, comme tout ce qui affaiblit l’omnipotence de l’État, n’est pas sans quelques compensations ; les frêles libertés naissantes en ont peut-être éprouvé plus de bénéfice que de dommage. L’esprit public, l’esprit de progrès et de libre investigation, qui, dans un État autocratique, eût risqué d’être entièrement étouffé sous l’accord des divers organes du pouvoir, a pu respirer quelque peu à travers les fissures laissées entr’ouvertes par les discordes et la désunion des ministres. Une feuille de Saint-Pétersbourg en faisait un jour la remarque : dans le passé, sous Alexandre II comme sous Alexandre Ier, une direction gouvernementale uniforme eût, aux époques de réaction, toujours fréquentes en Russie, tourné contre les idées libérales et singulièrement favorisé la victoire de la politique rétrograde ; elle eût, par exemple, pu détruire presque entièrement les meilleures réformes d’Alexandre Nicolaiévitch. Avec le régime actuel, au contraire, sous le couvert du désaccord et des dissensions des ministres, grâce à l’autonomie des divers