Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/154

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âge mûr ; ils ont, durant des années, attendu que la vieillesse leur apportât le loisir de payer leur dette au Christ ou aux saints. Parfois, d’accord avec le goût national, les moujiks se cotisent et forment une sorte d' artèle pour accomplir à frais communs les longs pèlerinages.

Les paysans qui vont, jusqu’en Terre Sainte, allumer un cierge au Saint Sépulcre et puiser une bouteille de l’eau du Jourdain, deviennent de plus en plus nombreux. La Russie envoie aujourd’hui plus de pèlerins en Palestine que toutes les autres nations chrétiennes ensemble. Autrefois beaucoup s’y rendaient entièrement par terre, franchissant à petites journées les steppes ponto-caspiennes, le Caucase, l’Asie Mineure, le Taurus, à travers les mépris et les vexations des Musulmans. Aujourd’hui un grand nombre vont encore à pied jusqu’à Odessa, où ils s’embarquent à prix réduit pour Kaïfa ou Jaffa. Chaque printemps, Odessa frète pour eux des bateaux sur lesquels on les entasse comme, dans nos ports, les émigrants pour l’Amérique. Moyennant une cinquantaine de roubles, les hommes du peuple peuvent se faire transporter, du cœur de la Russie aux rives de la Palestine, avec la sécurité d’un retour payé d’avance. Naguère leurs consuls étaient obligés d’en rapatrier gratuitement des centaines, que la rapacité des moines grecs avait dépouillés de leur dernier kopek.

Tout comme nos pèlerins latins au moyen âge, les pèlerins russes ont, depuis longtemps, des itinéraires pour leur indiquer les principales étapes de la route, avec les sanctuaires à visiter et les reliques à vénérer. Une Société qui compte parmi ses membres des princes du sang et de hauts dignitaires du clergé, la « Société orthodoxe de Palestine », s’est donné pour mission de veiller sur ces humbles visiteurs du tombeau du Christ[1]. À Odessa, à Constantinople,

  1. Un de ses membres, M. A. Éliséief, a publié, sous le titre de S Rousskimi palomnikami na Sviatoï Zemlé (1884), une curieuse description du voyage et de la vie de ses compatriotes en Terre Sainte.