Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/284

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une situation inférieure à celle des ministres des confessions rivales, qui d’ordinaire sont, eux aussi, salariés par l’État. Les défiances mêmes du gouvernement contre les cultes hétérodoxes l’engagent à en payer le clergé, pour le mieux tenir sous sa main. Il le fait, d’ordinaire, au moyen d’une taxe spéciale appliquée aux membres de chaque confession, en sorte qu’il n’est que l’intermédiaire obligé entre les différentes Églises et leurs ministres. Avec le clergé orthodoxe, il n’est pas besoin de tels moyens ; l’État le tient sous sa tutelle par assez d’autres liens.

Cet exemple montre l’erreur de ceux qui font consister la séparation de l’Église et de l’État dans la suppression du budget des cultes. C’est là une vue grossière qui ne peut être acceptée que par l’ignorance. Peu d’Églises ont été aussi étroitement unies à l’État que l’Église russe, et, jusqu’à une époque toute récente, il n’y avait pas en Russie de budget des cultes. Aucun clergé n’a été plus dépendant du gouvernement, et, aujourd’hui encore, la plus grande partie de ce clergé ne reçoit rien du Trésor.

Chez un peuple riche, où l’initiative individuelle a été mûrie par les libertés publiques, là surtout où la nation est partagée entre diverses confessions et le sentiment religieux stimulé par la rivalité des différents cultes, le clergé peut trouver plus de liberté, plus de dignité, à n’avoir d’autre soutien que la piété de ses fidèles. Il en est autrement dans un pays pauvre, habitué à se reposer de tout sur l’État. Le clergé, dont l’entretien est abandonné au zèle privé, y perd en considération et en indépendance, souvent même en moralité. En étant à la charge de ses paroissiens, le prêtre tombe à leur merci. C’est ce qui se voit en Russie, au moins dans les campagnes. A-t-il affaire aux anciens serfs, le pope a peine à leur arracher la nourriture de ses enfants. Compte-t-il sur sa paroisse quelque riche famille, il n’en est d’ordinaire qu’une, celle de l’ancien seigneur, en sorte que la générosité est sans émulation, et que la reconnaissance, n’ayant point à se partager, se change en