Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/338

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Orient moscovite se distingue le plus nettement de l’Occident.

Qu’on ne s’étonne pas de nous voir réclamer l’attention pour de bizarres et rustiques hérésies. Ce n’est pas qu’à ces sectes illettrées nous prétendions attribuer une importance ou un avenir sans proportion avec leur valeur morale ou leur force numérique. Si nous insistons sur cette face obscure de la vie nationale, c’est qu’à nos yeux c’est le côté par lequel le Russe du peuple, si différent du Russe que connaît l’Europe, se laisse le plus facilement pénétrer. C’est presque toujours par les dehors, par les institutions et les lois, par la haute littérature et la haute société, c’est-à-dire par le dessus, par la surface, qu’on envisage l’empire du Nord. L’étude des sectes populaires nous permet d’atteindre le peuple russe par le dedans, par le fond et en quelque sorte par le dessous.

Comme les rivières selon le sol qu’elles traversent, les religions, en passant par des populations différentes, prennent aisément des teintes diverses. Le raskol est le christianisme byzantin au sortir des couches inférieures du peuple russe. Dans les eaux troubles et bourbeuses des sectes moscovites, il est possible de signaler des infiltrations étrangères, parfois protestantes et parfois juives, plus souvent gnostiques ou païennes. Par son principe, comme par ses tendances, le raskol n’en diffère pas moins de toutes les religions ou confessions du dehors ; il reste essentiellement original, foncièrement national. Il est si bien russe que, en dehors de la Russie, il n’a nulle part fait de prosélytes, et que, en dedans même de l’empire, il n’a guère d’adeptes que parmi les populations grandes-russiennes, moscovites, les plus russes de la Russie. Il est si bien spontané que, à travers toutes ses phases, il suffit à s’expliquer lui-même ; enfermé dans un continent isolé, comme en un vase clos, il n’eût rien changé à sa marche. Le plus national de tous les mouvements religieux sortis du christianisme, le raskol est en même