Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/349

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tiques élémentaires de la dévotion ; le fils était obligé de désapprendre le signe de croix enseigné par sa mère. En tout pays, un tel changement eût jeté un grand trouble ; en aucun la perturbation ne pouvait être plus grave qu’en Russie, où la prière, accompagnée d’inclinaisons de corps et de signes de croix répétés, a une sorte de rite matériel. Le peuple repoussait le nouveau signe de croix et toute la nouvelle liturgie. Il se souciait peu que les rites établis par Nikone fussent plus antiques que les siens. Pour l’ignorant Moscovite, il n’y avait d’autre antiquité que celle de ses pères et grands-pères ; et ses pères lui avaient enseigné de minutieuses observances pour toutes les heures et tous les actes de la vie. Le Moscovite était emmailloté d’un réseau de rites comparable au cérémonial chinois. Un livre du seizième siècle, le Domostroï, le Ménagier russe, montre jusqu’où était poussé le formalisme de l’ancienne Moscou. La religion que recommande le prêtre Sylvestre, précepteur d’Ivan IV et rédacteur du Domostroï, consiste avant tout dans le respect scrupuleux des rites extérieurs. Pour ce code de la piété et du savoir-vivre moscovites, le bon chrétien est celui qui se tient raide pendant les offices ; qui baise la croix, les images, les reliques, en retenant son souffle, sans ouvrir les lèvres ; qui consomme l’hostie sans la faire craquer avec les dents ; qui, le matin et le soir, s’incline trois fois devant les icônes domestiques, en frappant la terre du front, ou en se courbant au moins jusqu’à la ceinture[1]. Tous ces usages des ancêtres, le raskolnik mit son honneur à leur demeurer fidèle, et cela non seulement en religion, mais en toute chose. Dans certaines régions il a conservé avec presque autant de soin les coutumes domestiques, les rites des fêtes civiles, les légendes du passé, y compris les traditions et les chants d’origine païenne, que la liturgie antérieure à Nikone.

  1. Voyez dans la Bibliothèque Universelle, Lausanne, mai 1887, l’étude de M. L. Léger sur la vie domestique en Russie.