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rer au raskol. Il a bien aussi, à une époque récente, surgi quelques sectes dans la Petite-Russie, les stundistes notamment, mais ces sectes à tendances rationalistes sont nées sous des influences protestantes, et l’on a mainte fois observé que le Petit-Russien n’a pas le même goût que son frère du Nord pour les disputes dogmatiques[1]. De toutes les populations de la Russie, la principale et la plus mêlée a été seule à ce point accessible à l’esprit d’hérésie, et cet esprit reste une des marques dîslinctives de cette puissante tribu.

Les Russes cultivés et sceptiques se plaisent à dire que le Grand-Russien, si enclin aux sectes, est le moins religieux des Slaves de l’empire. Il y a là un curieux contraste, il n’y a peut-être pas absolue contradiction. Le principe du raskol n’est pas exclusivement religieux, il est surtout formaliste, il est surtout réaliste, et, de sa nature, le réalisme est peu religieux. Dans cette dévotion excessive aux formes du culte, on pourrait peut-être voir une sorte d’incapacité, d’infirmité religieuse.

Parmi les Grands-Russiens mêmes, chacune des deux branches du schisme a sa région propre, son domaine préféré. Toutes deux régnent surtout dans les contrées de l’empire où la population est le moins dense, dans les contrées excentriques, les forêts du nord, les steppes du sud : nous ne parlons pas ici de Moscou, qui est redevenu le centre du raskol, comme de toute la vie russe. Les sectes hiérarchiques, les popovtsy, l’emportent dans le centre et le sud-est ; les sans-prêtres, les bezpopovtsy, dans le nord. Ceux-ci dominent chez les paysans du bassin de la mer Blanche, dans les monts Oural et la Sibérie, ceux-là parmi les Cosaques, sur les bords du Don, du bas Volga, du fleuve Oural. Le sol et le climat, l’histoire et les mœurs expliquent cette répartition. Si les vieux-croyants sont plus

  1. Voyez p. ex. Tchoubinski, Enquête ethnographique sur la Russie occidentale, Iougo-Zapadnyi otdel, t. VII, p. 348.