Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/392

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nombreux dans les contrées écartées, c’est que les vieilles mœurs s’y sont mieux conservées ; c’est que, plus loin du centre de l’État, les sectes ont eu moins de peine à se propager et à se constituer. Si les sans-prêtres dominent dans les gouvernements septentrionaux, les confessions chrétiennes ont eu, presque partout, des tendances plus laïques sous le rude ciel du nord que sous le ciel plus doux du midi.

Dans le nord de la Russie, le succès des sectes antisacerdotales était particulièrement favorisé par l’étendue même du territoire, par la mauvaise qualité du sol et par l’extrême diffusion de la population. Dans ces énormes gouvernements septentrionaux, dont un, Arkhangel, est aussi vaste que la France et l’Italie ensemble, dont d’autres, comme Vologda ou Perm, sont aussi grands que l’Angleterre ou la Hongrie, le nombre des paroisses et le nombre des prêtres ont toujours été très restreints. L’influence sacerdotale a été par suite d’autant plus faible et la religion plus laïque. Encore aujourd’hui, l’étendue des paroisses est telle qu’il faut souvent plus d’un jour de marche pour aller de leur extrémité à leur centre. Avec une population aussi dispersée, avec des chemins impraticables durant des mois, l’église était hors de la portée d’un grand nombre de fidèles. Les habitants allaient rarement à la paroisse ; les actes les plus solennels de la vie ne se pouvaient toujours célébrer avec l’assistance du prêtre. Dans la galerie d’un riche vieux-croyant de Moscou, j’ai été frappé d’un tableau représentant un enterrement dans ces régions du nord. Sur un traîneau de paysan, au milieu d’une campagne blanche de neige, une femme conduit à quelque lointain cimetière une bière de bois. C’est là une image de la sombre existence de ces vastes régions où, ayant d’être rejeté par l’hérésie, le prêtre avait été rendu inaccessible par la distance. Au fond de ces solitudes, les hommes, réunis en petits groupes, étaient obligés de se suffire en tout à eux-mêmes, contraints de pour-