Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/393

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voir à leurs besoins spirituels comme à leurs besoins matériels. Dès avant l’explosion du schisme, les paysans se construisaient des oratoires où ils lisaient et chantaient des prières ensemble, les plus instruits enseignant les autres. La bezpopovstchine était ainsi sortie des mœurs, avant d’être érigée en doctrine[1]. Des écrivains russes de différentes écoles, Khomiakof et Kelsief entre autres, ont attribué cette prédominance des bezpopovtsy dans le nord de la Russie à l’influence des protestants du nord de l’Europe. Ce n’est là qu’une hypothèse inutile[2]. Le raskol, dans sa branche la plus radicale, comme dans son point de départ, est essentiellement indigène, autochtone ; il est sorti tout entier des habitudes et des mœurs locales. À Novgorod même, les strigolniki professaient, dès le quatorzième siècle, des doctrines fort analogues à celles des bezpopovtsy actuels ; ils rejetaient l’autorité du clergé longtemps avant les apôtres de la Réforme.

Il serait d’un haut intérêt d’avoir une représenlation. graphique, une carte du raskol. Aucun pays peut-être n’aime autant que la Russie à se figurer lui-même aux yeux ; aucun ne s’est retracé sous plus d’aspects et ne possède plus de cartes de son propre territoire. Sur les atlas où sont représentés les différents cultes, les dissidents

  1. Aujourd’hui encore, il se rencontre parfois, en Sibérie surtout, des « sans-prêtres » involontaires. Un prêtre orthodoxe, le P. Gourief, a raconté, en 1881, dans le Rousskii Vestnik, que l’évéque de Tomsk l’avait un jour chargé d’interroger de dangereux sectaires arrêtés par la police et expédiés à la ville épiscopale pour y être morigénés. Le P. Gourief découvrit que ces braves gens, arrachés à leurs cabanes, étaient tout bonnement des orthodoxes perdus dans un hameau écarté, loin de toute église, qui avaient imaginé, pour ne pas se passer de tout service religieux, de faire célébrer les offices par quelques-uns d’entre eux. Et, ajoutait le P. Gourief, on trouverait en Sibérie nombre de ces « sectaires malgré eux ».
  2. Chez certains Russes, chez Khomiakof notamment, cette assertion tient à un système. Khomiakof, un des coryphées du slavophilisme, regardait le protestantisme et l’esprit d’hérésie comme le produit logique du « romanisme ». Selon lui, rien d’analogue ne pouvait sortir de l’orthodoxie ; par suite, il lui fallait attribuer l’origine des sectes russes à des influences étrangères. Khomiakof ; L’Église latine et le protestantisme au point de vue de l’Église d’Orient.