Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/43

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les enseignements évangéliques, il y a une sorte de superposition qui a persisté jusqu’à nous. Ce ne sont pas seulement les rites du paganisme que le paysan a çà et là conservés, c’est, sous une enveloppe chrétienne, l’esprit même du polythéisme. Aussi, est-ce devant le moujik qu’on pourrait dire que le paganisme est immortel.

Ce phénomène s’explique par plusieurs raisons faciles à saisir, par l’état de culture du peuple, par son manque d’éducation historique, et aussi par son caractère, par son réalisme invétéré, son attachement traditionnel aux rites et aux coutumes. Il s’explique par l’esprit de l’Église qui lui apporta l’Évangile, par les défauts du christianisme byzantin, lui-même déjà tombé dans le formalisme, et aussi par la manière dont la foi nouvelle se substitua à l’ancien polythéisme. Le missionnaire grec était enclin à faire consister toute la religion dans les rites, et ses protecteurs, les convertisseurs du peuple, les princes de Kief étaient naturellement, par leur éducation païenne, encore plus portés à ne demander à leurs sujets que le respect des observances de la foi nouvelle.

Une des choses qui frappent dans l’histoire de la Russie, c’est la facilité avec laquelle le christianisme s’est introduit chez les Slaves russes. Entre l’Évangile et le paganisme, la lutte fut courte, la victoire peu disputée. À Kief, où le Christ avait des églises dès avant Vladimir, le polythéisme semble avoir été vaincu sans avoir presque combattu. Il s’efface, en quelque sorte, il s’évanouit tout à coup devant le conquérant étranger[1]. Or, en religion, plus encore qu’en politique, il n’y a de complètes et de durables que les victoires disputées.

Le triomphe du christianisme fut d’autant plus rapide

  1. Si, à Novgorod ; la résistance du paganisme fut un peu plus longue et plus vive, M. A. Nikitski a montré que, aux bords mêmes du Volkof, cette résistance fut moindre que ne l’ont cru Solovief et Kostomarof. Nikistki : Veliki Novgorod, Otcherk vnoutrennoï istorii v velikom Novgorodé, Saint-Pétersbourg, 1879.