Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/44

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que le polythéisme des Slaves Russes était plus informe, plus vague, plus primitif. S’il avait des dieux, s’il possédait même des images, des statues de ses dieux, le Slave du Dniepr n’avait ni temples pour les abriter, ni clergé pour les défendre. Le culte, pour ne pas dire la religion, était encore chez lui en voie de formation. Au lieu d’être en décadence, comme le polythéisme classique, son paganisme semble avoir été plutôt dans la période d’élaboration. Ce qui, en d’autres circonstances, en eût pu rendre la résistance plus vive, ne l’a pas empêché de succomber devant une religion supérieure non seulement par ses croyances, mais par son organisation, par son culte et son clergé. Toutefois, comme le sentiment païen était encore dans toute sa vigueur, que l’âme populaire en était imbue, le triomphe du Dieu unique a été longtemps plus apparent que réel. Les idées et les notions du polythéisme ont, après sa défaite officielle, persisté à travers les rites du nouveau culte. Ce qui a été renversé par Vladimir, ce sont les dieux de bois à barbe d’or du paganisme russo-slave, plutôt que les antiques conceptions que ces dieux personnifiaient. Aux anciennes idoles, convaincues d’impuissance devant le Dieu des missionnaires byzantins, ont succédé le Christ et les saints du christianisme. La victoire de l’Évangile s’est ainsi trouvée d’aulant plus facile qu’elle était moins profonde. Il a pris d’autant plus vite possession des collines de Kief et des demeures des Varègues qu’il s’emparait moins des esprits et apportait moins de trouble dans les âmes, moins de changement dans les idées. On comprenait si peu le christianisme qu’on restait à demi païen sans le savoir. Telle est encore souvent, après des siècles, la religion du moujik. Ce paga nisme latent, l’Église et l’État se sont donné d’autant moins de peine pour le déraciner qu’il opposait moins de résistance extérieure et s’ignorait davantage lui-même[1].

  1. Il nous a paru inutile de rappeler le récit de Nestor sur la conversion