Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/45

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La religion du peuple a ainsi été longtemps une sorte de paganisme chrétien, ou mieux de christianisme païen, où le polythéisme « représentait les croyances et le christianisme le culte ». Si les idées chrétiennes s’infiltraient peu à peu à travers les notions païennes, en revanche les vieilles cérémonies du paganisme, avec ses chants et ses danses, revivaient souvent au-dessous des rites de l’Église[1]. On a pu dire que le peuple russe était un peuple bireligieux. Les vieux chroniqueurs en faisaient déjà la remarque. Cette sorte de dualité de croyances, persistant à travers les siècles, a frappé tous ceux qui ont étudié le paysan ; elle se retrouve encore aujourd’hui dans ses chants, ses contes, ses traditions, comme dans son imagination. L’élément chrétien et l’élément païen s’y mêlent et s’y entrecroisent de telle façon que sa religion ressemble à une étoffe de deux couleurs[2].

Les dieux slaves ont-ils été effacés de sa mémoire, le peuple a gardé le souvenir des divinités secondaires, de celles du moins qui, par leur nom ou par leurs attributs, personnifiaient le plus nettement les forces de la nature. Comme presque partout, c’est la partie inférieure de la mythologie qui a le mieux résisté. C’est ainsi que, en près de dix siècles, le christianisme n’a pu supprimer ni le

    des Russes, d’autant qu’une grande partie de ce récit, spécialement la prétendue enquête de Vladimir sur le Judaïsme, l’Islamisme et le Christianisme grec ou latin, a toutes les apparences d’une légende.

  1. Cela est si vrai qu’au seizième siècle, sous Ivan le Terrible, lors du Concile qui rédigea le Stoglav, les évêques se plaignaient publiquement de la fréquence des cérémonies païennes. En certaines contrées ils pourraient encre renouveler les mêmes plaintes aujourd’hui.
  2. Voyez notamment Afanasief : Narodnyia Rousskiia Legendy, p. 6 ; Ralston : Russian Folk-tales, p. 325. Un grand nombre des chants de la Grande comme de la Petite Russie sont ce que des savants russes ont appelé bireligieux (doouviernyia.) Il en est de même des Zagovory, conjurations magiques rythmées et parfois rimées, dont le folklore moscovite est fort riche. On en possède de forme chrétienne et de forme païenne : parfois le Christ y est invoqué en même temps que le Soleil et la Terre humide. L’appel aux forces élémentaires, aux fleuves, aux vents, au « Soleil trois fois saint » est du reste fréquent dans la poésie russe populaire de toute époque. Voyez, p. ex., A. Rambaud : la Russie épique.