Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/472

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sang qui coulait dans les veines du rédempteur. Au bourg de Staroïé, à 30 verstes de Kostroma, vivait encore, à la fin du règne de Nicolas, une fille du nom d’Ouliana Vassilief, que les khlysty regardaient comme une sorte de divinité, parce qu’elle était le dernier rejeton de la race de Daniel Philippovitch. Pour mettre fin au culte dont elle était l’objet, le gouvernement dut faire enfermer la sainte des sectaires dans un couvent. Privés de la famille de leur dieu, les hérétiques continuèrent à témoigner leur vénération aux lieux sanctifiés par sa présence. Une maison de Moscou, jadis habitée par Daniel Philippovitch, fut longtemps pour eux une sorte de santa casa, et le village de Staroïé resta leur Bethléem ou leur Nazareth. Il y a dans ce village un puits qui avait le privilège de leur fournir l’eau avec laquelle se cuisait le pain qui servait à leur communion. Le transport se faisait en hiver, lorsque l’eau gelée se laissait aisément charrier en bloc.

L’inepte légende de la double mort et résurrection d’Ivan Souslof explique mal le succès d’une secte qui a pénétré dans toutes les provinces de l’empire. Les douze commandements de Daniel Philippovitch, prêchés par son fils Ivan, n’en paraissent pas donner davantage la raison ; c’est un code d’ascétisme : l’un prohibe l’usage des boissons fermentées, l’autre l’assistance aux noces et aux festins. Le serment et le vol sont condamnés, le mariage et l’union des sexes sont absolument interdits[1]. Aux jeunes gens il est enjoint de ne pas se marier ; aux époux, de vivre en frère et sœur. C’est un des points par où les khlysty donnent la main aux plus exaltés des sans-prêtres, auxquels ils peuvent avoir fait plus d’un emprunt. Des douze commandements attribués à Daniel Philippovitch, il en

  1. Le commandement qui condamne le vol, une des faiblesses les plus fréquentes du paysan russe, offre une image d’une énergie singulière, bien faite pour frapper des hommes simples, « Ne volez point. Si quelqu’un a dérobé seulement un kopeck (pièce de 4 centimes) ; on lui mettra au jugement dernier ce kopeck sur la tête, et le péché ne lui sera pardonné que lorsque le kopeck aura fondu dans le feu. »