Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/473

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est deux qui recèlent peut-être les deux grandes causes du succès de la secte ; c’est le précepte qui commande de croire au Saint-Esprit et celui qui ordonne de garder le secret. Croyez à l’Esprit, c’est-à-dire à l’inspiration, croyez à vous-même, croyez aux transports et aux illusions de l’imagination ; c’est, sous une brève formule, la liberté des visions et la promesse de l’extase, avec toutes les fascinations du mysticisme. À cette séduction, le secret en ajoute une autre : de tout temps, les cultes voilés d’ombres et enseignés à voix basse ont eu, pour la tête ou les sens des adeptes, un attrait semblable à un délicieux vertige. On sait les voluptés de l’initiation et le charme des dévotions clandestines qui donnent à la religion la saveur de l’intrigue et la troublante douceur des émotions prohibées. « Ces préceptes, dit le Dodécalogue de Daniel Philippovitch, garde-les en secret ; ne les révèle ni à ton père ni à ta mère. Qu’on te frappe avec le knout, qu’on te brûle avec le feu, souffre sans rien dire. » Et le prosélyte admis dans la communauté, après avoir passé par plusieurs épreuves, doit jurer « de garder le silence sur tout ce qu’il verra ou entendra, sans se plaindre ni s’effrayer du knout, du feu ou du glaive ». Une telle discipline explique comment ces hérésies ont été longtemps si mal connues. Pour se mieux dérober aux regards profanes, les khlysty comme les skoptsy, comme tous les sectaires qui sortent virtuellement du christianisme, demeurent extérieurement dans l’Église, en fréquentant les offices et les sacrements.

Le succès des khlysty semble moins provenir de leur morale ou de leurs dogmes que de leurs rites cachés. Comme chez toutes les doctrines qui fuient le jour, comme dans les mystères du paganisme antique et les secrètes réunions des premiers chrétiens, on a, chez les khlysty, soupçonné d’immorales pratiques, de nocturnes débauches. Si quelques-unes de leurs communautés ont justifié de semblables soupçons, il n’est pas besoin de cette grossière amorce pour expliquer la diffusion de pareilles sectes.