Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/549

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qu’il n’y avait pas de Dieu. « Pendant trente-cinq années de ma vie, nous dit-il, j’ai été nihiliste dans l’exacte acception du mot, un homme qui ne croit à rien. » Comment s’est-il converti ? Il l’a raconté dans sa Confession : ses romans seuls nous l’auraient laissé deviner. P. Bezouchof et Lévine nous ont fait assister à ses doutes et à ses luttes, en nous laissant pressentir d’où lui viendraient la paix et la lumière. Le pessimisme a été pour Tolstoï le fruit amer du nihilisme. L’idée de la mort l’obsédait ; l’ombre de la mort se projetait pour lui sur toutes les joies de la vie. Comme Lévine, il a songé à se tuer. D’où lui est venu le salut ? De là où il était venu à ses incarnations romanesques, du moujik. Tolstoï avait remarqué que le mystère de la vie semble plus obscur aux gens du monde qu’aux gens du peuple. L’énigme qui tourmente l’homme instruit n’existe pas pour des millions de créatures humaines. Elles en ont trouvé le mot sans efforts, sans l’avoir cherché. Ce que nulle science n’eût pu lui apprendre, le sens de la vie et de la mort, une vieille paysanne, sa nourrice, le savait ; elle avait la foi et ne connaissait aucun doute. Telle est l’idée maîtresse de Léon Nikolaïévitch, idée encore bien russe. Pour comprendre la vie, il n’y a qu’à se mettre à l’école des simples. Pareil à ses héros, Tolstoï a pris pour initiateur un moujik. Il a, comme eux, rencontré son paysan révélateur. Mais en revenant à la religion, Tolstoï ne revient pas à l’orthodoxie ; et en cela encore il est l’élève de nombre de paysans. Le secret de la vie est tombé des lèvres de Jésus, mais l’Église, dépositaire de sa parole, l’a dénaturée. Le christianisme du Christ a disparu sous les menteurs commentaires de ses interprètes officiels ; il était plus difficile à retrouver que si l’Évangile ne nous fût parvenu qu’à demi effacé ou brûlé, parmi ces manuscrits de Pompéi réduits en cendres.

Qu’a-t-il donc découvert ce Sarmate que ni Grec, ni Latin, ni Germain n’aient aperçu avant lui ? Il a découvert la morale évangélique enfouie, depuis quinze cents ans, sous