Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/574

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droits civils des dissidents ont été abrogées. Ils sont libres de résider dans toute l’étendue de l’empire et de voyager à l’étranger. Ils sont autorisés à s’inscrire dans les guildes de marchands, ils sont aptes à remplir des fonctions publiques et à recevoir des distinctions honorifiques. Cela est quelque chose, mais cela n’est point assez. Les dissidents ont cessé d’être considérés comme des rebelles en insurrection contre l’État, mais leur émancipation n’est pas complète. S’ils ont enfin l’égalité civile, ils n’ont pas encore la liberté religieuse. En fait, les droits que leur a concédés Alexandre III, la tolérance intéressée de l’administration les en laissait jouir. Ce qu’ont gagné les raskolniks, c’est une situation légale mieux définie ; encore, les droits qui leur ont été reconnus, en matière religieuse surtout, sont-ils bien restreints et bien précaires[1].

Les lois nouvelles sont pleines de fissures par où peut, de nouveau, se glisser l’arbitraire administratif. Les dissidents ont le droit de célébrer leur culte, mais avec des restrictions ignorées des juifs, des musulmans ou des païens. Toute cérémonie publique leur est interdite ; leurs prêtres ne peuvent même conduire les morts au cimetière. La mère patrie refuse encore aux vieux-croyants des libertés que ne leur a pas contestées l’étranger. Lorsque la Bessarabie danubienne fit retour à la Russie, les dissidents d’Ismaïl et de Kagoul eurent besoin d’un oukaze pour continuer à sonner leurs cloches. Les raskolniks n’ont pas encore le droit d’élever librement des chapelles à leurs frais. L’administration reste maîtresse de leur refuser l’ouverture ou la réparation de leurs oratoires ; elle peut expulser leurs prêtres ou leurs liseurs, prohiber l’impression ou la vente de leurs missels. Après cela, peut-on dire que le schisme a conquis la liberté religieuse ? Puis, il ne faut point perdre de vue que les droits concédés aux raskolniks ne le sont qu’à une infime

  1. Voyez une étude de M. Kouvaïtsef dans le Iouriditcheskii Vestnik, avril 1886.