Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/622

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

serait, lui semblerait-il, que par une abdication du slavisme. Peu lui importe que ce nationalisme religieux répugne à l’esprit, essentiellement cosmopolite, du christianisme : la Russie prétend tout trouver en elle-même ; elle se considère comme un monde à part, ou mieux comme le centre de gravité du monde futur. Se croyant appelée à l’hégémonie intellectuelle et politique du continent, il lui agrée peu d’entrer dans l’unité catholique, et de devenir partie d’un tout ; elle préfère se regarder comme un tout complet, et être, presque à elle seule, l’héritage du Christ, le peuple chrétien.

Il y a un autre obstacle : après l’idolâtrie nationale, l’idolâtrie de l’État, L’État est un dieu jaloux, qui ne souffre pas volontiers de rival. Ce qui, aux yeux du penseur, fait la supériorité de l’Église catholique, ce qui la rend, en quelque sorte, libérale malgré elle[1], c’est que, par sa constitution, elle met une borne à l’omnipotence de l’État, le tyran prochain des sociétés modernes. Cela seul lui vaudrait les défiances de l’autocratie, aussi bien que de la démocratie. Aux tsars il faut une Église qui tienne dans leur main, comme le globe surmonté de la croix. L’autocratie russe, en possession d’une Église nationale, est peu disposée à en transmettre la suprématie à une autorité étrangère. Le pouvoir que les siècles lui ont conféré sur le clergé, il lui plairait peu de l’abandonner ou de le partager. Entre l’autocratie et la papauté, entre ce que les catholiques ont appelé le césaropapisme des tsars et ce que les Russes nomment l’autocratie cosmopolite des papes, il y a une antipathie, pour ne pas dire : une incompatibilité naturelle. Chacune des deux étend trop loin ses droits pour ne pas sembler empiéter sur l’autre. Toute alliance entre la Russie et la papauté est malaisée, tant que le pouvoir autocratique demeure intact, et, d’un, autre côté, l’initiative n’en saurait guère être prise que par une volonté omnipotente.

  1. Voyez les Catholiques libéraux, l’Église et le libéralisme : conclusion.