Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/621

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à la fois religieux et politique. L’Union ne serait-elle pas le meilleur, peut-être le seul moyen de rendre à son Église dignité et indépendance ? Ne serait-ce pas la meilleure manière de rattacher à la Russie les Polonais et les Slaves de l’ouest, l’unique moyen peut-être d’effectuer l’unité morale, sinon l’unité politique du monde slave ? Cela semble si manifeste que la seule pensée en épouvanterait les adversaires de la Russie et du slavisme. Imaginez un traité entre Rome et Moscou, le pape devenu l’allié du tsar, quelle puissance formidable qu’une pareille alliance ! quel contrecoup en Occident et en Orient ! Les ennemis de la Russie peuvent se rassurer. Le pacte du Vatican et du Kremlin n’est pas encore conclu ; entre les clefs de saint Pierre et l’aigle russe, la religion n’est pas la seule barrière.

Le différend religieux, bien qu’aggravé par la promulgation de l’infaillibilité pontificale, porte moins sur le dogme que sur des antipathies séculaires, si enracinées chez le peuple que, en se réconciliant avec Rome, l’Église officielle pourrait craindre de renforcer le raskol. Il en est un peu, à cet égard, de l’orthodoxie comme du protestantisme : la haine de la papauté est, pour beaucoup d’orthodoxes, l’âme de l’Église orientale ; les tendances protestantes d’une partie du clergé y ont encore fomenté l’anti-romanisme. Mais le principal obstacle n’est pas dans la conscience religieuse, il est dans ce que V. Solovief appelle le « nationalisme », dans le penchant à glorifier tout ce qui semble russe, et à s’insurger contre tout ce qui paraît étranger. À cet exclusivisme national il ne déplaît pas d’être séparé de l’Occident par la religion. Le rapprochement effectué par Pierre le Grand sur le terrain de la civilisation, il ne se soucie pas de le poursuivre dans le domaine moral. Pour lui, l’isolement sied à la grandeur russe. Reconnaître la suprématie romaine, même en conservant une Église autonome, ce serait abaisser la Russie devant l’Occident décrépit, dont le Slave n’a plus rien à emprunter. Quand Moscou assurerait, par là, l’union des Slaves, ce ne