Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/655

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gile. Nous en avons naguère donné une des principales raisons : il se juge supérieur au chrétien par le dogme[1]. Il ne croit pas moins l’être par la morale, parce que la morale du Coran est modelée sur ses mœurs. Elle a beau nous sembler relâchée, elle le défend d’un des vices les plus funestes aux peuples modernes. L’interdiction des boissons alcooliques est, pour le musulman, un bienfait dont la comparaison avec ses voisins russes orthodoxes lui fait sentir toute l’étendue. La propagande chrétienne n’a quelques chances de succès que parmi les populations converties depuis peu au Coran, ou sur lesquelles l’Islam n’a pu encore mettre son empreinte indélébile. Les missionnaires russes avaient fondé des espérances sur les Kirghiz, souvent tièdes mahométans, qui fréquentent peu les mosquées. Ainsi, en Algérie, les jésuites s’étaient flattés de gagner les Kabyles. Même sur ces Kirghiz, la prédication orthodoxe n’a pas eu, jusqu’ici, beaucoup de prise. Il est douteux qu’elle en ait davantage à l’avenir ; car, à mesure qu’ils quittent la vie nomade, les Kirghiz deviennent meilleurs musulmans : ils s’imbuent des principes du Coran dans les mektabs et les médressés que les mollahs, tatars ou sartes, ouvrent dans leurs aouls.

Quant aux Tatars qui habitent au milieu des Russes de l’Oka ou du Volga, ils sont généralement réfractaires à toute propagande. Parmi les Tatars de Kazan, 45 000 environ, soit à peine un dixième, ont, à diverses époques, été officiellement convertis ; mais, comme autrefois les Moriscos d’Espagne, la plupart sont restés musulmans de cœur et de mœurs. Le plus grand nombre fête le vendredi aussi bien que le dimanche. Le pope a beau, dans leurs villages, célébrer l’office en tatar, beaucoup ne vont à l’église que pour être mariés ou faire baptiser leurs enfants. Encore payent-ils souvent le prêtre pour être dis-

  1. Voyez, tome I, livre II, chap. ii, les pages consacrées aux Tatars, 82-89 de la 2e édition.