Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/656

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pensés de cette cérémonie. Il n’est pas rare, nous l’avons déjà constaté, de les voir revenir ostensiblement à l’Islam. Pour les soustraire à l’influence des mollahs, Nicolas Ier avait cherché à les isoler de leurs congénères musulmans en les réunissant dans des villages séparés. L’intervention des autorités n’empêche pas des mouvements de retour à Mahomet de se produire périodiquement parmi les Tatars et les Tchouvaches. Les rapports de M. Pobédonostsef à l’empereur Alexandre III ne le dissimulent pas. « Ces apostats, affirmait le haut procureur en 1885[1], se montrent sourds aux conseils de leurs chefs spirituels chrétiens. Durant les exhortations auxquelles on les astreint, ils s’efforcent de ne point penser au sujet dont on leur parle, afin d’éloigner de leur esprit jusqu’à la possibilité d’un doute sur la foi. » Ces musulmans endurcis, l’Église, après avoir en vain tenté de les ramener par la douceur, les livre au bras séculier, qui leur applique les rigueurs de la loi. Beaucoup de ces relaps ont été déportés en Sibérie. En 1883, des paysans tatars du village d’Apozof étaient poursuivis devant le tribunal de Kazan pour avoir abandonné l’orthodoxie. Les accusés déclaraient avoir toujours été musulmans ; sept d’entre eux n’en furent pas moins condamnés, comme apostats, aux travaux forcés. C’est ainsi que, sous Alexandre III, l’islamisme a encore, en Russie, ses martyrs ou ses confesseurs.

De tels actes ont fait des Tatars de Kazan les plus zélés et aussi les plus fanatiques des musulmans russes. C’est reflet ordinaire de la contrainte. Cela est d’autant plus regrettable que ces Tatars sont fort considérés de leurs coreligionnaires. Ils fournissent un grand nombre de mollahs pour tout l’empire. Le gouvernement cherche à restreindre leur influence ; il eût été plus simple de ne pas se les aliéner par une intolérance inutile. On connaît la solidarité du monde musulman. Les procédés de la Russie

  1. Rapport sur l’année 1883. publié en 1886.