Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/78

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dérogation, à l’œuvre des vieux conciles. À ses yeux, l’édifice est achevé depuis des siècles.

Cette divergence a des conséquences capitales. Dans l’orthodoxie gréco-russe, ni la conscience des fidèles ni la prévoyance des hommes d’État n’ont à se préoccuper de la possibilité de décisions dogmatiques nouvelles. Les limites de la foi étant à jamais fixées, il n’y a, de ce côté, ni motif ni prétexte à des inquiétudes privées ou publiques. Soumis aux décisions de l’Église dans le passé, le fidèle n’a point à craindre de se heurter contre elles dans l’avenir ; il peut se mouvoir à son gré dans l’enceinte du dogme. Tandis que Rome, en transformant en croyances obligatoires des opinions libres, se réserve le droit d’enfermer ses enfants dans un cercle dogmatique de plus en plus circonscrit, l’Orient, cantonné dans ses frontières théologiques, ne resserre ni n’élargit le domaine de la foi. Chez lui, le champ occupé par le dogme étant plus étroit et ne pouvant être agrandi, l’espace abandonné à la discussion est plus vaste et moins exposé aux empiétements.

C’est une des différences entre les deux Églises dont on ne s’est pas assez rendu compte ; dans la foi orthodoxe il y a moins de points déterminés, moins de précision dans l’enseignement, moins de rigueur dans les définitions, partant plus de liberté d’opinion, plus de place à la variété des points de vue et des écoles. Le plus illustre adversaire catholique de l’Église orientale, J. de Maistre, a lui-même tiré parti de cet avantage, lorsque dans ses Soirées de Saint-Pétersbourg il a mis sur les lèvres d’un sénateur russe les plus hardies de ses hypothèses religieuses[1]. L’orthodoxie grecque n’ayant pas plus d’autorité centrale pour condamner les erreurs que pour proclamer les vérités, il y a double raison pour que l’horizon ouvert à la pensée ou à l’interprétation individuelle y reste plus étendu.

  1. Ainsi, lorsque le grand ultramontain donne à entendre que les récits des premiers chapitres de la Genèse pourraient bien n’être que des allégories.