Page:Andersen - Contes danois, trad. Grégoire et Moland, 1873.djvu/174

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne pas devenir un ivrogne, mais tu le deviendras, c’est inévitable. Pauvre enfant ! enfin, va ton chemin. »

Le petit s’en alla. Dans le saisissement qu’il éprouvait, il garda sa casquette à la main ; le vent jouait dans ses cheveux blonds et en soulevait de longues boucles.

Au coin de la rue, il tourna et prit la ruelle qui conduisait à la rivière. Sa mère était là agenouillée sur un banc et battait de toutes ses forces avec le battoir les gros paquets de linge. Le courant était fort, les écluses du moulin étaient ouvertes. L’eau entraînait les grands draps de lit et menaçait de renverser le banc. La laveuse était obligée de s’étayer de toute la force de ses jambes.

« Peu s’en est fallu, dit-elle à son fils, que je ne fusse emportée par le courant. Il est heureux que tu arrives, car j’ai besoin de me réconforter un peu. Il fait froid dans l’eau et voilà six heures que j’y suis. As-tu quelque chose pour moi ? »

L’enfant tira la bouteille ; la mère la mit à sa bouche et but un coup.

« Que cela fait de bien ! dit-elle. Comme cela réchauffe ! Une gorgée fait autant d’effet qu’une tasse de bouillon, et c’est moins cher. Bois un peu, mon garçon. Tu es bien pâle ; tu gèles sans doute dans tes vêtements si minces, car voici déjà l’automne. Houch ! que cette eau est froide ! pourvu que je ne tombe pas malade ! Mais non, pas de cela ! Donne que je prenne encore une gorgée. Bois aussi, une goutte seulement. Tu ne dois pas t’y habituer, mon pauvre chéri. »

Elle quitta son banc et vint à terre. L’eau dégouttait de sa robe et du paillasson qu’elle avait attaché autour.

« Je travaille et je m’évertue, reprit-elle, au point que le