Page:Andersen - Contes danois, trad. Grégoire et Moland, 1873.djvu/18

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« Elle s’était chargée, pour un petit salaire, de cultiver le jardin de l’hôpital. Elle en rapportait tous les samedis soir quelques fleurs qu’on lui permettait de prendre. Le bouquet était placé sur la commode de ma mère comme ornement ; mais il était à moi, c’était moi mettais dans l’eau, et qui la renouvelais quand il en était besoin. C’était une de mes grandes joies. Ma grand’mère m’apportait tout ce qu’elle pouvait ; elle m’aimait de toute son âme ; je le savais.

« Deux fois par an elle faisait dans le jardin de l’hôpital un grand feu avec les branches et les feuilles mortes, avec les mauvaises herbes, etc. J’allais alors la trouver, et je me roulais joyeusement sur les tas de feuilles. On me donnait, pour m’amuser, beaucoup de fleurs. Et ce que j’estimais assez, je mangeais là de meilleures choses qu’à la maison.

« Les fous tranquilles avaient la permission de se promener dans la cour. Ils venaient quelquefois nous trouver au jardin. Je les écoutais parler avec un mélange de curiosité et de terreur, et je me prenais à les suivre pour entendre la fin de leurs histoires. Je me hasardais même à aller voir, avec les gardiens, les fous furieux. Un long corridor longeait leurs cellules. Une fois, le gardien étant parti, je m’agenouillai à terre, et je regardai par la fente d’une de ces portes. Il y avait là une femme à moitié nue, couchée sur de la paille. Ses longs cheveux flottants pendaient jusqu’à mi-corps. Elle chantait de la voix la plus douce. Tout à coup elle s’élança vers la porte, ouvrit le petit judas par lequel on lui passait ses aliments. Elle me regarda d’un air fixe et terrible et étendit son long bras vers moi ; je sentis ses ongles toucher mes habits, je criai d’épouvante ; le gardien