Page:Andersen - Contes danois, trad. Grégoire et Moland, 1873.djvu/19

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accourut, j’étais à demi mort de frayeur. Même après bien des années écoulées, ce spectacle et cette impression restèrent présents à mon esprit.

« Près de l’endroit du jardin où nous faisions notre feu était une chambre où filaient de pauvres vieilles femmes. J’entrai les voir et je fus bientôt leur favori. C’est que je leur racontais avec éloquence des choses qui les plongeaient dans l’étonnement. Par hasard, j’avais entendu quelqu’un parler de la conformation intérieure du corps humain. Je n’y avais naturellement rien compris ; mais le mystère m’attirait, et avec de la craie je me mis à tracer, devant ces bonnes vieilles, une suite de zigzags qui représentaient, leur dis-je, la forme des intestins ; puis je leur décrivis fantastiquement le cœur et les poumons. Elles ne revenaient pas de leur surprise.

« Je passai aussitôt parmi elles pour un enfant prodige et elles me prédirent qu’ayant trop d’esprit je ne vivrais pas longtemps. Pour me récompenser de ce que je leur avais appris, elles me confièrent une quantité de contes de fées, d’histoires de magiciens, etc. Tout un nouveau monde aussi riche, aussi brillant que celui des Mille et une Nuits, se développa devant moi.

« Les récits de ces bonnes vieilles, la fréquentation des fous firent sur moi une telle impression que j’osais à peine, après le crépuscule, sortir de la maison. Dès que le soleil se couchait, je me mettais au pied du lit de mes parents, et là, tout éveillé, je voyais défiler les figures les plus extraordinaires. Je vivais familièrement au milieu d’elles. J’avais une peur extrême de mon grand-père le faible d’esprit. Une seule fois il m’avait parlé, me disant vous comme à un étranger. Il