Page:Andersen - Contes danois, trad. Grégoire et Moland, 1873.djvu/181

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« À la Chandeleur eut lieu la noce. La première année, tout alla bien. Nous avions un compagnon et un apprenti. Tu servais alors chez nous, ma bonne Marthe.

— Oh ! vous avez été pour moi, dit celle-ci, une bonne et aimable maîtresse. Je n’oublierai jamais le bien que vous m’avez fait en ce temps-là, toi et ton mari.

— Oui, ce furent de belles années, celles où tu étais chez nous. Nous n’avions pas encore d’enfant. Le jeune étudiant et moi nous ne nous revîmes plus. Si pourtant : je l’aperçus une fois, mais lui ne me vit point. Il était revenu ici pour l’enterrement de sa mère. Il était debout près de la tombe, pâle comme un mort, et plongé dans une grande douleur. Mais c’est sa mère qu’il pleurait.

« Plus tard, quand son père mourut, il voyageait bien loin à l’étranger. Il ne revint plus ici. Il ne s’est pas marié, je le sais. Il s’est fait, je pense, avocat. Moi, il m’avait oubliée. M’eût-t-il rencontrée, il ne m’aurait certes pas reconnue : je suis devenue si affreuse ! mais c’est aussi très bien fait et pour le mieux. »

Elle parla ensuite de ses jours d’épreuve et raconta comment l’infortune l’avait assaillie avec une sorte de rage :

« Nous possédions, dit-elle, cinq cents écus. Il y avait là, dans la Grande-Rue, une vieille maison à vendre pour deux cents écus. Nous l’achetâmes afin d’en faire bâtir une neuve. Le maçon et le menuisier avaient fait le devis pour mille et vingt écus. Éric avait du crédit. Il emprunta la somme à Copenhague. Le navire qui l’apportait sombra, et l’argent alla au fond de la mer.

« C’est à cette époque que je mis au monde mon cher et doux enfant qui dort là si gentiment. Mon mari fut frappé