Page:Andersen - Contes danois, trad. Grégoire et Moland, 1873.djvu/26

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comédies. On m’a raconté plus tard que j’étais toujours habillé proprement et gentiment, que je poussais comme une longue perche et que j’avais de longs cheveux clairs, couleur de lin.

« Dans notre voisinage habitait la veuve d’un pasteur, Mme Bunketlod, avec sa belle-sœur. Elles me reçurent chez elles ; ce fut la première famille de personnes instruites et faisant partie de la bonne société où je fus accueilli amicalement. Le défunt pasteur avait écrit des poésies et il n’était pas sans un certain renom dans la littérature danoise ; ses chansons de fileuses étaient encore dans la bouche du peuple.

« C’est là que j’entendis pour la première fois prononcer le nom du poète, et cela avec un respect profond, comme si c’était quelque chose de sacré. Je savais déjà qu’il y avait des auteurs comme Holberg, par exemple, dont mon père m’avait lu quelques comédies. Mais là il n’était pas question de théâtre ; il ne s’agissait que de vers et de poésie : « Mon frère, le poète, » disait la sœur du pasteur, et ses yeux, à ces mots, prenaient un éclat particulier. Elle m’apprit que c’était un sort heureux, une profession sainte que d’être poète.

« C’est dans cette maison que je lus pour la première fois Shakspeare, dans une mauvaise traduction, il est vrai ; mais ses personnages audacieux, ses scènes sanglantes, ses sorcières et ses revenants, étaient entièrement de mon goût. Je jouai aussitôt ses drames sur mon théâtre de marionnettes. Je vivais familièrement avec l’esprit du père de Hamelet, avec le vieux roi Lear. Plus il mourait de personnages, plus cela me paraissait intéressant. C’est à cette époque que j’écrivis ma première pièce, qui n’était pas moins qu’une tragédie où naturellement tout le monde périssait. J’en avais pris le sujet