Page:Andersen - Contes danois, trad. Grégoire et Moland, 1873.djvu/27

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dans une vieille chanson de Pyrame et Thisbé ; mais j’avais ajouté à ces personnages un ermite et son fils, tous deux épris de Thisbé, et qui se tuaient lorsqu’elle mourait. J’avais mis dans la bouche de mon ermite beaucoup de passages de la Bible et du Petit Cathéchisme. La pièce s’appelait Abor et Elvira. J’en étais enchanté, et j’allais la lire avec le plus grand contentement à tous les gens du voisinage. Tous la trouvèrent superbe, excepté une voisine, qui, faisant un jeu de mots sur le titre, me dit que ma pièce aurait dû s’appeler « la Perche (Aborre en danois) et la Morue. » Je rentrai tout désolé à la maison. Je sentais qu’on s’était moqué de moi ; je contai mon chagrin à ma mère : « Elle n’a dit cela, dit ma mère, que parce que son fils n’en saurait faire autant. »

« Je fus consolé et je recommençai une nouvelle pièce où figuraient un roi et une reine. Dans Shakspeare, ces hauts personnages parlent comme tout le monde. Il me semblait que cela ne devait pas être juste. Je demandai à ma mère et à diverses personnes comment un roi s’exprimait en réalité. On me répondit qu’il y avait longtemps qu’un roi était venu à Odensée, mais qu’on croyait que les têtes couronnées se servaient de langues étrangères. Je me procurai une sorte de dictionnaire où il y avait des mots allemands, français et anglais, avec la traduction en danois. C’était bien ce qu’il me fallait. Je pris un mot dans chaque langue et les intercalai dans les discours de mon roi et de ma reine. Cela faisait un langage comme celui qu’on a pu parler devant la tour de Babel ; mais j’étais persuadé d’avoir fidèlement reproduit le langage des cours. Tout le monde fut obligé d’entendre ma pièce. Je la lisais avec une joie profonde ; jamais il ne m’ad-