Page:Andersen - Contes danois, trad. Grégoire et Moland, 1873.djvu/45

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émotion j’avais perdu toute mémoire. Alors je récitai tout un Pater et je m’en fus, persuadé qu’ayant parlé le jour de l’an du haut de la scène, j’arriverais dans le courant de l’année à obtenir un rôle.

« Pendant les deux années que je venais de passer à Copenhague, je n’avais jamais été à la campagne, au milieu de la nature, sauf une fois au grand parc, où l’aspect de la foule m’avait absorbé. La troisième année, j’arrivai par une matinée de printemps au milieu de la verdure, dans le parc de Frédéricsberg. Je me trouvai sous les grands hêtres ; le soleil perçait à travers leur jeune feuillage ; l’air était frais et embaumé ; les oiseaux gazouillaient mélodieusement. Je me sentis tout transporté, j’entourai de mes bras un de ces gros arbres et je l’embrassai. « Est-il fou ? » entendis-je crier à côté de moi. C’était un des laquais du château. Je me sauvai tout éperdu et rentrai en ville.

« Dans l’intervalle ma voix était revenue ; elle avait beaucoup gagné. Le directeur de l’école de chant m’entendit et m’engagea à entrer à son école ; il me dit qu’en chantant dans les chœurs, j’apprendrai à me mouvoir avec plus de liberté sur les planches. Je crus voir là une nouvelle voie pour entrer au théâtre et je suivis le conseil.

« Je fus, en effet, admis dans les chœurs d’opéra, et j’y figurai tantôt comme berger, tantôt comme guerrier. J’avais, en retour, obtenu la permission d’entrer au parterre ; le théâtre m’absorbait au grand détriment de mon latin. Je manquai plusieurs des leçons qu’on voulait bien me donner. Guldberg l’apprit et, pour la première fois de ma vie, je reçus une terrible semonce. J’en fus accablé ; je crois qu’un criminel n’est pas plus atterré en entendant sa sentence